Claude et Bernard sont des aventuriers comme on n'en fait plus. Quand l'envie les prenait, ils mettaient le panneau "Fermé pour cause d'absence" sur la porte de la petite affaire de remorques qu'ils tenaient à Nanterre, et se faisaient l'Inde aller-retour… en Renault 4. "Nous connaissions les pistes du Sahara par cœur avant même que le Paris-Dakar existe", explique Bernard Marreau, celui des frères français qui s'occupe de la navigation. Lorsqu'en 1979 Thierry Sabine fit connaître son intention d'organiser un rallye reliant Paris à Dakar, au Sénégal, les Marreau furent parmi les premiers inscrits.
R4
Leur connaissance du terrain s'avéra évidemment précieuse. En ce temps-là, seuls des amateurs se présentaient au départ, et on ne parlait pas encore de GPS. En 1979 et 1980, ils terminèrent respectivement aux cinquième puis troisième place, au volant d'une R4 équipée d'un système 4x4 expérimental de Sinpar. "Mais on aurait pu gagner", dit Bernard Marreau.
La R30 déguisée en R20
C'est ce que semblait croire aussi Renault, ou du moins le chef du Marketing de l'époque, Michel Rolland. "Il nous avait beaucoup aidés, avec la R4", raconte Claude Marreau. "Il nous avait appelé après notre troisième place et il avait dit : "êtes-vous prêts à jouer la victoire ?" Evidemment, qu'on était prêts ! La première chose sur laquelle travailler était la garde au sol. C'est parce qu'elle était trop faible que nous avions été handicapés avec la R4." En ce temps-là, Thierry Sabine était encore très souple quant aux modifications apportées aux voitures de série. "Il fallait seulement une preuve d'inscription et après, on pouvait se montrer très… créatif", explique Claude Marreau. Renault avait fourni une R30, avec capot, coffre et portières en alu. "A cette époque, la R30 était le vaisseau amiral de Renault. Mais un peu plus tard, il s'est avéré que c'était plutôt la R20 qui avait besoin de gonfler ses ventes. Et voilà pourquoi notre R30 a reçu un nez de R20, et a été inscrite comme R20."
Turbo
"Nous avions aussi bien envie d'être les premiers à emmener un turbo dans le désert. Personne ne l'avait fait avant", poursuit Claude Marreau. "Nous avons donc repris le 1.6 litres de la R18, ainsi que sa boîte 5. La transmission intégrale et la suspension arrière venaient d'un Trafic 4x4. J'ai tout assemblé moi-même dans notre atelier. Le moteur turbo de la R18 était alors encore en développement, personne ne savait comment il allait se comporter dans le désert. Et comme il avait besoin d'une très bonne essence, nous avons nous-mêmes créé un mélange avec du carburant d'avion, et nous essayions de trouver le dosage idéal chaque soir au bivouac."
Le rallye de 1981 démarre mal pour les Marreau. "Nous avions été prêts juste à temps, mais nous n'avions pas pu correctement tester la voiture. C'est donc pendant le rallye que j'ai découvert que le différentiel asymétrique du Trafic rendait la voiture potentiellement très sous-vireuse. Je l'ai remarqué pendant la deuxième étape, quand un camion a déboulé en sens inverse", dit Claude.
Problème d'huile
En difficulté mais toujours en course, les Marreau voient leur ciel s'éclaircir lorsqu'ils attaquent la partie africaine de l'épreuve. Ils remportent la 3ème étape de 4 Chemin à Tit, en Algérie. "Nous avions la meilleure vitesse de pointe du plateau, 170 km/h", dit Claude. Ils gagnent aussi la 4ème étape. "Nous étions clairement des prétendants à la victoire", racontent les frères Marreau. Mais bientôt, les ennuis recommencent. Ils roulent dans un méchant trou et endommagent une pompe à huile. Ils perdent 11 heures, mais restent en course. "Mais le lendemain, on a encore eu un pépin. Là, l'édition 1981 s'est arrêtée pour nous."
Victoire
La voiture utilisée en 1982 était une évolution de celle de 1981. Et cette fois, les Marreau sont revenus de Dakar avec une victoire en poche. Ce serait leur unique victoire, et la seule de Renault, dans un rallye désertique. "La voiture de 1981 reste la plus importante des trois R20 Dakar que j'ai construites. C'est avec elle que j'ai tout appris", explique Claude.
Slalom
Aujourd'hui, c'est avec cette R20 de 1981 que nous sommes sur le domaine de la mine de Quenast, la plus grande mine à ciel ouvert de l'Europe. A un jet de pierre de Bruxelles, nous conduisons la R20 sur un dénivelé de 160 mètres. Et c'est tout sauf facile : les pierres sur ma route sont énormes, et le moteur n'a pas de fonction "roue-libre". Il faut donc le garder dans les tours, tout en faisant attention aux pierres. L'échappement placé sur le toit permet de négocier les passages à gué difficiles – le Dakar ne se compose pas uniquement de déserts – mais génère surtout un bruit d'enfer au niveau de l'oreille gauche, un bruit aussi rugueux que celui d'un diesel. Pour sentir l'effet du turbo, il faut franchir la barre des 3.000 tours. Le maniement de la boîte 5 est en revanche très facile. La direction exige une certaine concentration mais une fois qu'on s'est habitué à elle, la R20 est en fait assez docile, et se fraie bravement un chemin à travers la caillasse. "Notre R20 était en effet très facile à conduire, très agréable", confirme Claude Marreau. En ce qui me concerne, je suis surtout impressionné par le "Fighting Spirit" qui habitait ces amateurs. A l'ère du GPS, des suspensions ultra perfectionnées Profilex et des différentiels pilotés électroniquement, il faut bien avouer que si les choses étaient mieux avant, elles étaient surtout bien plus difficiles.
Avec tous nos remerciements à Sagrex pour l'accès à la mine de Quenast, et à Albion Motorcars pour nous avoir permis de conduire de la R20.