Klaus-Joachim ‘Jochi’ Kleint n'a pas eu de chance : sa carrière en rallye a coïncidé avec celle du légendaire Walter Röhrl. Tous deux pilotaient des Ford Capri du team du frère de Kleint, et ont aussi simultanément participé au Championnat du Monde des Rallyes au volant d'Opel Ascona 400. "Au Monte Carlo 1982, nous nous battions pour la victoire. Nous sommes passés sur la même plaque de verglas, j'ai glissé et je me suis crashé, et c'est Walter qui a gagné. C'est comme ça, le sport automobile. Si on ne supporte pas la défaite, il vaut mieux faire autre chose." En 1987, les routes des deux hommes se croisent à nouveau, cette fois lors de la course de côté la plus célèbre du monde : la "Course vers les nuages" du Colorado, plus connue sous le nom de Pikes Peak. Walter est au volant de l'invulnérable Audi Quattro S1, Jochi pilote cette VW Golf très spéciale.
Jetta et Scirocco
"Tout le monde connaît bien sûr l'histoire de l'Audi Quattro. Nous aussi, chez VW, nous étions témoins de son incroyable succès en rallye. Au département sport de Volkswagen, on se demandait donc surtout comment battre Audi. Et une des idées a été d'utiliser deux moteurs, un pour chaque essieu", raconte Kleint. "VW a demandé au sorcier motoriste Kurt Bergmann, de Keinmann Racing, de construire un prototype. Il a construit une Jetta à deux moteurs, suivie d'une Scirocco. J'ai essayé les deux et il s'est avéré que le concept fonctionnait vraiment très bien." L'idée pouvait donc connaître une suite en compétition. "Mais la question était : dans quelle discipline ? A ce moment-là, le rallye vivait le règne des monstres Groupe B, comme la 205 T16 et la Lancia Delta S4. Mais même là, l'homologation exigeait de vendre une petite série de voitures. Chez VW, on pensait alors qu'il n'y avait pas de place sur le marché pour les voitures personnelles à 4 roues motrices. Alors nous avons pensé à Pikes Peak, un évènement international au règlement très "libre". Et comme VW vendait la Golf aux USA sous le nom de Rabbit, il y avait du sens à la faire courir là-bas".
Plus de chevaux
En 1985, Keimann Racing construit une première voiture de course à deux moteurs sur base de la Golf 2. Rien qu'à la vue des passages de roue généreusement agrandis et de l'énorme prise d'air posée sur le toit, on comprenait que cette voiture n'avait rien d'ordinaire. "Nous avons utilisé deux moteurs 1.8 litres de la Golf GTI, développant chacun 200 ch. Il n'y avait pas de turbo, mais nous disposions déjà de 400 ch. C'était ma première fois à Pikes Peak, j'avais tout à apprendre. Et malgré ça, j'ai terminé 3ème. Il était clair que notre concept avait du potentiel. Tout ce qu'il nous fallait pour prétendre à la victoire, c'était plus de puissance."
En 1986, VW est de retour dans le Colorado, avec une solution légèrement modifiée. "Cette fois, nous utilisions deux moteurs 1,3 litres de la Polo, gavés par des turbo. Ce qui donnait un total de 500 ch. Mais la voiture n'était pas très facile à maîtriser." Une quatrième place, alors que l'Audi Quattro de Bobby Unser avait remporté l'épreuve : un bien maigre résultat.
Châssis tubulaire
Pour 1987, Bergmann avait construit une toute nouvelle voiture. "Finalement, il ne restait plus de la Golf que sa forme. Le châssis tubulaire était par exemple 20 cm plus large qu'une Golf normale. Mais le département marketing avait lourdement insisté pour que la voiture ressemble autant que possible à une Golf. Nous n'avions donc pas droit aux spoilers, et ça m'a évidemment coûté de précieuses secondes pendant la course."
Kleint nous présente la voiture. Dans l'habitacle, un seul levier de vitesse, et une pédale d'embrayage. "Tout était relié mécaniquement car évidemment, chaque moteur avait sa propre boîte et son propre embrayage. La gestion moteur faisait en sorte que le régime de chaque bloc soit équivalent." En revanche, il y a à bord deux boutons de démarrage. Kleint peut donc démarrer ou couper individuellement chaque moteur s'il le désire.
650 ch
On pourrait imaginer que la Golf Twin Engine et ses deux moteurs soit bien plus lourde qu'une Audi Quattro, mais ce n'est pas le cas. La Golf accuse 1.020 kg à la pesée, ce qui n'est que 20 kg de plus que l'Audi. Dans cette auto, il y a donc deux moteurs 1.8 de la Golf GTI, gavés par des turbo KKK. "Ca nous donne 650 ch à une pression de 1,6 bar. Et on pouvait monter jusqu'à 3,2 bar", s'amuse Kleint. Le 0 à 100 est abattu en 3,4 secondes. "Cette voiture était parfaite en course. Dès le départ, j'ai eu un excellent feeling. La Golf donnait des sensations fantastiques. Grâce aux turbos assez compacts, il était très facile de garder un bon rythme, mais il fallait évidemment veiller à ce qu'il ne s'arrête pas de souffler. Il fallait donc freiner du pied gauche tout en continuant à donner des gaz du pied droit."
Deuxième temps intermédiaire
Kleint ne le sait pas à ce moment-là mais à mi-course, il est détenteur du second meilleur temps, juste derrière… Walter Röhrl et l'Audi Quattro. "Et dans la deuxième partie de la course, j'avais la sensation d'être tout aussi rapide que dans la première." Aurait-il battu Röhrl ? On ne le saura jamais. A 400 mètres de l'arrivée, la fixation Uniball de la suspension cède. "La roue s'est immédiatement détachée. Je pouvais voir le type qui tenait le drapeau à damier mais pour moi, la course était finie."
Vainqueur : Walter Röhrl et l'Audi, évidemment. "Je ne sais pas si j'aurais pu le battre mais ça aurait certainement été très serré." Après cela, Volkswagen ne reviendrait à Pikes Peak qu'en 2018, avec la ID. R électrique. Pour enfin gagner.