Jacky Ickx a aujourd'hui 74 ans. Il y a 50 ans, il remporta la première de ses 5 victoires aux 24 Heures du Mans. Une course qui est entrée dans l'histoire en raison de l'action de protestation menée par le pilote lors du départ.
Ceintures
"A cette époque, les pilotes prenaient le départ d'une course d'endurance en courant vers leur voiture, puis démarraient le moteur et s'élançaient sur le circuit. Et si on voulait être parmi les 20 premiers à démarrer, on n'avait pas le temps d'attacher sa ceinture. Le règlement disait qu'il était obligatoire de le faire durant le premier tour, mais vous avez déjà essayé d'attacher un harnais 6 point tout en conduisant au rythme d'une course ? Moi, je n'ai jamais réussi, et je crois que mes collègues non plus. Et donc, nous exécutions tout notre premier relais sans être harnaché. Un risque démentiel !"
Pour démontrer que ces quelques secondes perdues ne représentent rien dans une course de 24 heures, Ickx pose un geste symbolique. Tandis que tous les autres pilotes sprintaient vers leurs voitures, Ickx a traversé la piste en marchant. Il a pris le temps de s'attacher, et est parti bon dernier. "Oui, la promenade", se souvient-il aujourd'hui. "J'étais à peu près au milieu de la piste quand je me suis rendu compte que j'avais un problème : j'avais marché si lentement que tous les autres pilotes étaient déjà au volant, prêts à se lancer. Du coup j'ai un peu… euh… pressé le pas", dit-il en riant.
Crash
1969 allait être la dernière année où les pilotes devaient courir vers la voiture. "Mais ce n'était pas de mon fait, c'était plutôt une conséquence de ce qui est arrivé à ce pauvre John Woolfe." Woolfe est alors un pilote privé britannique qui fait connaissance avec le nouveau monstre de Porsche : la 917. Dès le premier tour, il sort de la piste. Dans l'accident, Woolfe est éjecté de la voiture, n'ayant pas pris le temps de boucler sa ceinture. Il est tué sur le coup. "C'était exactement ce que je voulais dénoncer, mais Woolfe a payé le prix fort. S'il n'y avait pas eu cet accident, j'aurais sûrement un droit à une sérieuse réprimande de la part des organisateurs."
Couleurs Gulf
"Les courses d'endurance à cette époque, c'était différent d'aujourd'hui. Maintenant, c'est un sprint du début à la fin. En ce temps-là, il fallait prendre soin de la voiture si on voulait qu'elle rejoigne l'arrivée. On ne savait jamais ce qui pouvait se passer, et on avait toujours une chance de gagner. C'est pour cela qu'on conduisait avec une mentalité "Never give up"." Cela étant dit, la Ford GT40 que pilotaient alors Jacky Ickx et Jackie Oliver était déjà une "vieille dame". La GT40 avait gagné pour la première fois en 1966, mais courrait déjà derrière la victoire depuis 1964. En 1968, la GT40 aux légendaires couleurs Gulf de l'équipe britannique John Wyer avait remporté l'épreuve, avec au volant Lucien Bianchi et Pedro Rodriguez. Mais en 1969, la voiture est loin d'être la plus rapide du plateau. Ickx et Oliver ne s'étaient qualifiés qu'à la 13ème place. "Honnêtement, nous aurions trouvé que finir à la 5ème ou 6ème place aurait déjà été un bon résultat. Mais nous avions toujours cette phrase en tête : on ne sait jamais…"
"Le désavantage de l'expérience"
C'est donc lors du Mans 1969 que la Porsche 917 vit ses grands débuts. Mais la voiture n'est pas seulement moins rapide que prévu, elle manque aussi de fiabilité. Les Porsche accumulent donc les pépins, tandis que la GT40 remonte avec régularité. "Il est devenu clair qu'on se dirigeait vers un sprint au finish. Moi dans la Ford, et la Porsche 908 de Herrmann et Larrousse." Porsche décide peu avant l'arrivée de remplacer le jeune Larrousse par le plus expérimenté Herrmann. "Ca a été une erreur stratégique. Hans Herrmann était un excellent pilote, mais il avait tout vu et tout survécu. Plus on vieillit, plus on a conscience des dangers. A l'époque, on appelait ça le désavantage de l'expérience. Moi je n'avais que 24 ans, Herrmann n'avait donc pas la moindre chance. Quand il freinait à 100 mètres du virage, je freinais à 95 mètres."
Panne simulée
Mais Ickx a quand-même eu chaud. Il avait franchi le drapeau à damier une minute trop tôt, et avait donc dû effectuer un tour de plus, avec Herrmann sur les talons et plus beaucoup d'essence dans le réservoir. "La Porsche était plus rapide en ligne droite, mais nous avions de meilleurs freins. Il fallait que je me place dans son aspiration, donc il fallait que je le laisse passer. Et il le savait aussi." S'en suivit une sorte de surplace, Herrmann se refusant à dépasser pour ne pas offrir son aspiration à la Ford. "Quand j'ai allumé mon clignoteur, il est tombé dans mon piège, il a cru que j'étais en panne sèche. Il m'a dépassé, et j'ai pu me placer dans son aspiration. Je suis repassé devant lui à la fin de la ligne droite et j'ai sprinté jusqu'à la victoire." Avec à peine 1,5 secondes séparant les deux premiers concurrents, ce moment épique est encore aujourd'hui le final le plus tendu de l'histoire des 24 Heures du Mans.
"C'est bien sûr cette victoire qui vaut à l'histoire d'être ce qu'elle est. De dernier à premier, mon Dieu ! Mais imaginez si ça avait été moi qui avais fini derrière à 1,5 secondes. Aujourd'hui, les gens me demanderaient : "Jacky, raconte nous encore l'histoire du pari le plus stupide de ta carrière !"