C'est sur ce petit bout de papier que Ferdinand Piëch traça sa vision. Où ? Dans un bullet-train entre Tokyo et Nagano. Quand ? En 1997, alors que Piëch échange avec Kalr-Heinz Neumann, autre ponte de VW, responsable des nouveaux moteurs. Piëch n'avait pas encore de marque précise en tête, mais il voulait déjà faire développer "le meilleur moteur de l'histoire". Quelque chose que personne n'avait encore jamais fait : un 18 cylindres.
Le 18 cylindres devait être tout à la fois : le plus puissant, le plus souple, le plus silencieux. Et celui qui avait enfanté, entre-autres, la Porsche 917 et l'Audi Quattro avait déjà une idée précise de comment réaliser ce projet. Le 18 cylindres se composerait de trois moteurs VR6 du groupe VW accolés. Les deux bancs de cylindres auraient un angle de 60°. Piëch voulait absolument un moteur atmosphérique. Le résultat donnerait une cylindrée de 6,25 litres, chaque bloc VR6 devrait donc présenter une capacité de 2 litres et quelques. Mais le VR6 qui équipait alors la VW Corrado (1991-1995) cubait 2,9 litres, et le V avait un angle de 15°. Piëch espérait pouvoir tirer 600ch de son moteur de rêve, ce qui était comparable avec les 627 ch délivrés par le V12 6.1 litres BMW qui équipait la McLaren F1 (1992-1997). Et bien sûr, il imaginait que ce moteur prendrait place dans de luxueux coupés et autres berlines de prestige.
Pour quelle voiture ?
Si Piëch avait des idées précises pour le moteur, il lui manquait une marque. Le Grand Patron était alors dans une "phase d'achat" et pensait acquérir Rolls-Royce et Bentley. Mais en 1998, il fut clair que la bataille pour Rolls serait remportée par BMW. Piëch allait tout de même mettre la main sur Bentley, qui a intégré le groupe VW la même année.
Mais ce n'était pas exactement ce que Piëch recherchait. Et ce fut son fils Gregor qui lui donna l'idée, le jour où il demanda une miniature de… Bugatti Type 57C Atlantic. "Pur hasard, en effet", a plus tard admis Piëch. L'homme chercha donc immédiatement à savoir ce qu'il en était de droits sur Bugatti, histoire de faire une offre si possible.
A cette époque, Bugatti était aux mains de l'homme d'affaires italien Romano Artioli qui, en 1987, avait acheté les droits sur la marque au gouvernement français. En 1991, il avait lancé l'impressionnante EB110. Puis il y eut des crises, et un certain nombre d'intrigues qu'Artioli a relatées dans son fantastique livre "Bugatti & Lotus Thriller". Conclusion : en 1995, Artioli était déjà au bord de la noyade, et fut très heureux de voir Piëch arriver avec la solution à ses problèmes. C'est ainsi que le petit-fils de Ferdinand Porsche s'offrit la marque ultime, idéal écrin pour son moteur ultime.
Changement de projet
Le 18 cylindres est apparu en 1998 dans un premier concept de nouvelle Bugatti : la EB218. Il s'agissait d'une luxueuse berline à moteur avant et à 4 roues motrices. En 1999, suit le premier concept d'une super-sportive, pour laquelle le 18 cylindres est toujours évoqué. Mais entretemps, Piëch avait revu sa copie, avec à l'esprit la devise d'Ettore Bugatti : "Si vous pouvez la comparer à autre chose, ce n'est pas une Bugatti". De nouveaux objectifs furent donc définis : 1.001 ch et plus de 400 km/h.
En 2000, on découvre la première ébauche de ce que nous connaissons comme la Bugatti Veyron : la EB 16 4 Veyron. 16 ? Eh oui : par souci de compacité, les ingénieurs VW avaient abandonné l'idée des 18 cylindres. Mais l'alternative est tout aussi avant-gardiste : un moteur W16. Deux V8 dont les bancs présentent un angle de 15° (comme dans le VR6), sont placés côte à côte selon un angle de 90°. Grâce à une cylindrée supérieure à 7 litres et à deux turbos, on atteint l'objectif de 1.001 ch, tout comme celui de 406 km/h en pointe. Pourquoi 406 ? C'était la vitesse atteinte en 1970 par la Porsche 917, le bébé de Piëch, alors qu'elle courrait vers la victoire aux 24 Heures du Mans.
Ferdinand Piëch est mort l'année dernière à l'âge de 82 ans. Selon la rumeur, c'est pour lui qu'avait été créée la nouvelle Bugatti "La Voiture Noire".
